Carnet d'Avril
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Carnet d'Avril
Les pages se déchirent comme les naguère,
narguant agressifs
les plaisirs d'une vie,
dérobés à l'envie,
souvenirs et souffrance.
11 Avril
Impossible de savoir si le temps se détourne à ma vue, craintif de mon regard jaune éclair d’espoir, ou si Dame Fortune n’est jamais avec moi lorsque, chaque matin, je scrute le dehors à travers ma fenêtre. Impossible de savoir si les brumes acides, collées à ma vie depuis quelque temps déjà, comptent rester encore quelques nuits.
J’ai mis des bottes beiges, ce matin. J’aime le bruit de leurs talons sur les pavées glacés des rues piétonnes : un petit son craintif et élégant qui jamais n’est monocorde.
Une myriade de chuchotements sont venus m’agresser, ce midi, pendant le repas. J’ai lâché ma fourchette parce que j’avais mal à la tête, parce que toutes les voix résonnaient, rebondissaient comme des ballons sur les murs de mon crâne, et elle est tombée sur le sol avec un petit cri de cristal.
Des paroles arrosées de bêtises, de rumeurs, comme un visage féminin innocent et véritable sur lequel on éjacule. Les yeux se ferment, âpre silence. La maîtrise de soi est très importante, je l’ai toujours su ; alors j’ai bu une bière, tranquillement, les nuées ardentes se baladant incapables au-dessus de moi.
L’après-midi est passée comme un cheval au galop, et je fus ma foi un cavalier peu inventif : les aiguilles sont allées vite sans que j’use du lasso. Je suis resté assis à côté du radiateur, une place universelle je crois. Les visages ont défilé avec des airs de clone : sourires perdus en chemin, regards alertes et méfiants, grimaces pressées comme des citrons.
Il se fait tard. Mes paupières se ferment sans aide, et les choses intéressantes de la journée ne dépassent pas zéro, à présent.
13 Avril
Marlène est venue frapper à ma porte. Aussitôt que cette dernière fut ouverte, ses pleurs ont traversé ma chemise et imprégné mon torse. Elle a crié des vérités que j’ai toujours jugées mauvaises à dire. Marlène a toujours eu cette émotion étrange qui, lorsqu’elle est éveillée, taillade à vif les plus profonds tabous. Peut-être que ce sont les femmes en général, je ne sais pas. En tout cas, même une éponge mouillée et un grand soleil n’auraient pu réussir à ramasser les miettes de mon cœur, ce matin-là. Je lui ai servi un café bien chaud, j’ai retenu mes larmes et mon poing, et je lui ai gentiment dit de s’en aller. Je l’ai regardée partir : elle a trébuché sur la marche du palier, comme d’habitude. Je l’ai imaginée, une heure plus tard, errante, un petit spectre aux longs cheveux blonds, une bouteille de whisky à la main, qui valse vers des gouffres infinis.
L’après-midi, je suis sorti un peu. J’ai regardé la Seine déverser lentement ses peines ; toutes les scories du monde semblaient sortir de ses eaux, et j’ai pensé aux quotidiens striés de gorges rouges, aux petits poissons épris de redondances et d’ennui, aux lueurs fragiles que les mains fatiguées n’effleurent même plus. J’ai pensé à la vie, un peu, à la vacuité du monde. J’ai fumé une cigarette, je suis rentré lentement chez moi, en croisant des cadavres gonflés d’air qui marchaient d’un air las, regardant les points à l’horizon comme des sorties de tunnel que l’on croit ne jamais atteindre.
Ensuite, je perds le fil. Les fins d’après-midi sont toujours muettes quand j’essaie de me les remémorer. Je ne sais pas pourquoi mais je pense maintenant à des jours d’automne, ceux où il y a beaucoup de feuilles et beaucoup de couleurs, ceux qui m’évoquent des savanes froides.
Mes mots attrapent beaucoup de rien, en ce moment.
17 Avril
Des rires d’enfants dont on s’accable pour forcer les souvenirs à rester cachés.
18 Avril
Il m’est arrivé ce soir quelque chose d’assez troublant. Il est 23h17 au moment où j'écris.
Il y a eu un petit tournant plein d’eau dans lequel j’ai pataugé ; des gens seuls qui sont morts sur la route, comme Marlène ; des vides lézardant des vies par millier, ces jours semblables passés à regretter, à croquer des désirs.
Encore aujourd'hui il a plu toute la journée ; la vitre brouillée par des gouttes éphémères, glissantes encore et encore et me dévisageant avec la délicatesse des malades.
Il ne s'est rien passé de nouveau, concrètement, mais c'est moi qui ait transformé cela en quelque chose d'inhabituel. Les parfums ont aussitôt été changés, comme des saveurs secrètes que l'on redécouvre... et il y a eu ce regard, aussi, comme un vers de terre fuyant, quelque chose qui t'échappe, incompréhensible, imprévisible comme les vagues déferlantes, et qui te fait vibrer, ce tremblement fragile et passionnel, vous savez, celui qu'on ressent à l'écoute d'une chanson qui nous tient à coeur, ou au travers d'un moment clé qui sifflote à l'oreille "Tu ressens comme c'est beau, comme c'est grand et véritable ?".
Mais ça n'a duré qu'un instant. Une brise fugace, un courant d'air.
J'ai pensé, j'ai remis mon ancre à la monotonie.
Le rire d'enfant, mi-soleil mi-ombre, barreaux irréversibles.
J’ai regardé le plafond avec une amertume qui ne me ressemblait pas.
Les choses enfermées par lâcheté, les petits bonheurs faciles rejetés par dépit, par habitude.
La fascination du pire.
narguant agressifs
les plaisirs d'une vie,
dérobés à l'envie,
souvenirs et souffrance.
11 Avril
Impossible de savoir si le temps se détourne à ma vue, craintif de mon regard jaune éclair d’espoir, ou si Dame Fortune n’est jamais avec moi lorsque, chaque matin, je scrute le dehors à travers ma fenêtre. Impossible de savoir si les brumes acides, collées à ma vie depuis quelque temps déjà, comptent rester encore quelques nuits.
J’ai mis des bottes beiges, ce matin. J’aime le bruit de leurs talons sur les pavées glacés des rues piétonnes : un petit son craintif et élégant qui jamais n’est monocorde.
Une myriade de chuchotements sont venus m’agresser, ce midi, pendant le repas. J’ai lâché ma fourchette parce que j’avais mal à la tête, parce que toutes les voix résonnaient, rebondissaient comme des ballons sur les murs de mon crâne, et elle est tombée sur le sol avec un petit cri de cristal.
Des paroles arrosées de bêtises, de rumeurs, comme un visage féminin innocent et véritable sur lequel on éjacule. Les yeux se ferment, âpre silence. La maîtrise de soi est très importante, je l’ai toujours su ; alors j’ai bu une bière, tranquillement, les nuées ardentes se baladant incapables au-dessus de moi.
L’après-midi est passée comme un cheval au galop, et je fus ma foi un cavalier peu inventif : les aiguilles sont allées vite sans que j’use du lasso. Je suis resté assis à côté du radiateur, une place universelle je crois. Les visages ont défilé avec des airs de clone : sourires perdus en chemin, regards alertes et méfiants, grimaces pressées comme des citrons.
Il se fait tard. Mes paupières se ferment sans aide, et les choses intéressantes de la journée ne dépassent pas zéro, à présent.
13 Avril
Marlène est venue frapper à ma porte. Aussitôt que cette dernière fut ouverte, ses pleurs ont traversé ma chemise et imprégné mon torse. Elle a crié des vérités que j’ai toujours jugées mauvaises à dire. Marlène a toujours eu cette émotion étrange qui, lorsqu’elle est éveillée, taillade à vif les plus profonds tabous. Peut-être que ce sont les femmes en général, je ne sais pas. En tout cas, même une éponge mouillée et un grand soleil n’auraient pu réussir à ramasser les miettes de mon cœur, ce matin-là. Je lui ai servi un café bien chaud, j’ai retenu mes larmes et mon poing, et je lui ai gentiment dit de s’en aller. Je l’ai regardée partir : elle a trébuché sur la marche du palier, comme d’habitude. Je l’ai imaginée, une heure plus tard, errante, un petit spectre aux longs cheveux blonds, une bouteille de whisky à la main, qui valse vers des gouffres infinis.
L’après-midi, je suis sorti un peu. J’ai regardé la Seine déverser lentement ses peines ; toutes les scories du monde semblaient sortir de ses eaux, et j’ai pensé aux quotidiens striés de gorges rouges, aux petits poissons épris de redondances et d’ennui, aux lueurs fragiles que les mains fatiguées n’effleurent même plus. J’ai pensé à la vie, un peu, à la vacuité du monde. J’ai fumé une cigarette, je suis rentré lentement chez moi, en croisant des cadavres gonflés d’air qui marchaient d’un air las, regardant les points à l’horizon comme des sorties de tunnel que l’on croit ne jamais atteindre.
Ensuite, je perds le fil. Les fins d’après-midi sont toujours muettes quand j’essaie de me les remémorer. Je ne sais pas pourquoi mais je pense maintenant à des jours d’automne, ceux où il y a beaucoup de feuilles et beaucoup de couleurs, ceux qui m’évoquent des savanes froides.
Mes mots attrapent beaucoup de rien, en ce moment.
17 Avril
Des rires d’enfants dont on s’accable pour forcer les souvenirs à rester cachés.
18 Avril
Il m’est arrivé ce soir quelque chose d’assez troublant. Il est 23h17 au moment où j'écris.
Il y a eu un petit tournant plein d’eau dans lequel j’ai pataugé ; des gens seuls qui sont morts sur la route, comme Marlène ; des vides lézardant des vies par millier, ces jours semblables passés à regretter, à croquer des désirs.
Encore aujourd'hui il a plu toute la journée ; la vitre brouillée par des gouttes éphémères, glissantes encore et encore et me dévisageant avec la délicatesse des malades.
Il ne s'est rien passé de nouveau, concrètement, mais c'est moi qui ait transformé cela en quelque chose d'inhabituel. Les parfums ont aussitôt été changés, comme des saveurs secrètes que l'on redécouvre... et il y a eu ce regard, aussi, comme un vers de terre fuyant, quelque chose qui t'échappe, incompréhensible, imprévisible comme les vagues déferlantes, et qui te fait vibrer, ce tremblement fragile et passionnel, vous savez, celui qu'on ressent à l'écoute d'une chanson qui nous tient à coeur, ou au travers d'un moment clé qui sifflote à l'oreille "Tu ressens comme c'est beau, comme c'est grand et véritable ?".
Mais ça n'a duré qu'un instant. Une brise fugace, un courant d'air.
J'ai pensé, j'ai remis mon ancre à la monotonie.
Le rire d'enfant, mi-soleil mi-ombre, barreaux irréversibles.
J’ai regardé le plafond avec une amertume qui ne me ressemblait pas.
Les choses enfermées par lâcheté, les petits bonheurs faciles rejetés par dépit, par habitude.
La fascination du pire.
lu-k- Talent Hasardeux
- Nombre de messages : 87
Age : 30
Votre talent : Écriture
Points : 164
Date d'inscription : 03/05/2009
Re: Carnet d'Avril
lu-k a écrit:Les pages se déchirent comme les naguère,
narguant agressifs
les plaisirs d'une vie,
dérobés à l'envie,
souvenirs et souffrance.
11 Avril
Impossible de savoir si le temps se détourne à ma vue, craintif de mon regard jaune éclair d’espoir, ou si Dame Fortune n’est jamais avec moi lorsque, chaque matin, je scrute le dehors à travers ma fenêtre. Impossible de savoir si les brumes acides, collées à ma vie depuis quelque temps déjà, comptent rester encore quelques nuits.
J’ai mis des bottes beiges, ce matin. J’aime le bruit de leurs talons sur les pavés glacés des rues piétonnes : un petit son craintif et élégant qui jamais n’est monocorde.
Une myriade de chuchotements est venue (myriade est sujet là ) m’agresser, ce midi, pendant le repas. J’ai lâché ma fourchette parce que j’avais mal à la tête, parce que toutes les voix résonnaient, rebondissaient comme des ballons sur les murs de mon crâne, et elle est tombée sur le sol avec un petit cri de cristal.
Des paroles arrosées de bêtises, de rumeurs, comme un visage féminin innocent et véritable sur lequel on éjacule (). Les yeux se ferment, âpre silence. La maîtrise de soi est très importante, je l’ai toujours su ; alors j’ai bu une bière, tranquillement, les nuées ardentes se baladant incapables au-dessus de moi.
L’après-midi est passée comme un cheval au galop, et je fus ma foi un cavalier peu inventif : les aiguilles sont allées vite sans que j’use du lasso. Je suis resté assis à côté du radiateur, une place universelle je crois. Les visages ont défilé avec des airs de clone(s) : sourires perdus en chemin, regards alertes et méfiants, grimaces pressées comme des citrons.
Il se fait tard. Mes paupières se ferment sans aide, et les choses intéressantes de la journée ne dépassent pas zéro, à présent.
13 Avril
Marlène est venue frapper à ma porte. Aussitôt que cette dernière fut ouverte, ses pleurs ont traversé ma chemise et imprégné mon torse. Elle a crié des vérités que j’ai toujours jugées mauvaises à dire. Marlène a toujours eu cette émotion étrange qui, lorsqu’elle est éveillée, taillade à vif les plus profonds tabous. Peut-être que ce sont les femmes en général, je ne sais pas. En tout cas, même une éponge mouillée et un grand soleil n’auraient pu réussir à ramasser les miettes de mon cœur, ce matin-là. Je lui ai servi un café bien chaud, j’ai retenu mes larmes et mon poing, et je lui ai gentiment dit de s’en aller. Je l’ai regardée partir : elle a trébuché sur la marche du palier, comme d’habitude. Je l’ai imaginée, une heure plus tard, errante, un petit spectre aux longs cheveux blonds, une bouteille de whisky à la main, qui valse vers des gouffres infinis.
L’après-midi, je suis sorti un peu. J’ai regardé la Seine déverser lentement ses peines ; toutes les scories du monde semblaient sortir de ses eaux, et j’ai pensé aux quotidiens striés de gorges rouges, aux petits poissons épris de redondances et d’ennui, aux lueurs fragiles que les mains fatiguées n’effleurent même plus. J’ai pensé à la vie, un peu, à la vacuité du monde. J’ai fumé une cigarette, je suis rentré lentement chez moi, en croisant des cadavres gonflés d’air qui marchaient d’un air las, regardant les points à l’horizon comme des sorties de tunnel que l’on croit ne jamais atteindre.
Ensuite, je perds le fil. Les fins d’après-midi sont toujours muettes quand j’essaie de me les remémorer. Je ne sais pas pourquoi mais je pense maintenant à des jours d’automne, ceux où il y a beaucoup de feuilles et beaucoup de couleurs, ceux qui m’évoquent des savanes froides.
Mes mots attrapent beaucoup de rien, en ce moment.
17 Avril
Des rires d’enfants dont on s’accable pour forcer les souvenirs à rester cachés.
18 Avril
Il m’est arrivé ce soir quelque chose d’assez troublant. Il est 23h17 au moment où j'écris.
Il y a eu un petit tournant plein d’eau dans lequel j’ai pataugé ; des gens seuls qui sont morts sur la route, comme Marlène ; des vides lézardant des vies par milliers, ces jours semblables passés à regretter, à croquer des désirs.
Encore aujourd'hui il a plu toute la journée ; la vitre brouillée par des gouttes éphémères, glissantes encore et encore et me dévisageant avec la délicatesse des malades.
Il ne s'est rien passé de nouveau, concrètement, mais c'est moi qui ai transformé cela en quelque chose d'inhabituel. Les parfums ont aussitôt été changés, comme des saveurs secrètes que l'on redécouvre... et il y a eu ce regard, aussi, comme un vers de terre fuyant, quelque chose qui t'échappe, incompréhensible, imprévisible comme les vagues déferlantes, et qui te fait vibrer, ce tremblement fragile et passionnel, vous savez, celui qu'on ressent à l'écoute d'une chanson qui nous tient à cœur, ou au travers d'un moment clé qui sifflote à l'oreille "Tu ressens comme c'est beau, comme c'est grand et véritable ?".
Mais ça n'a duré qu'un instant. Une brise fugace, un courant d'air.
J'ai pensé, j'ai remis mon ancre à la monotonie.
Le rire d'enfant, mi-soleil mi-ombre, barreaux irréversibles.
J’ai regardé le plafond avec une amertume qui ne me ressemblait pas.
Les choses enfermées par lâcheté, les petits bonheurs faciles rejetés par dépit, par habitude.
La fascination du pire.
Il se fait tard et mon étanchéité est au niveau le plus bas.
Il est donc surement probable que ma compréhension à minuit ne soit pas la même qu'à midi.
Toutefois, j'ai quand même pris quelques trucs . J'aime toujours ta manière de narrer et de t'exprimer. Une assez bonne maîtrise.
Par contre, je n'ai pas tout compris le sens de ce journal intime (s'il s'agit bien d'un journal). Où est vraiment la trame? En quoi ces sympathiques réflexions consistent-elles?
Ah, si tu pouvais éclairer ma lanterne...
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