Projet d'histoire.

- Votre fils n'est pas à proprement parler un cancre, madame Laubade, mais force m'est d'admettre qu'il a parfois un comportement que je me permettrais de qualifier de déplacé, voir de spécial, m'expliquait Jean-Claude Ensermot de sa voix traînante de vieux bonze sexagénaire en mâchant ses formules écliptiques avant d'en faire des bulles rhétoriques qu'il tremblait de voir lui éclater à la figure.
Jean-Claude Ensermot, dernier représentant d'une dynastie de directeurs de lycées qui semblaient être nés avec des lunettes de lecture au bout du nez et une calvitie de curé de campagne, se tenait recroquevillé dans le fauteuil en cuir de son bureau. Il était de cette espèce étranges d'idéalistes qui laissaient leur esprit gambader dans les prairies fleuries des illusions en se persuadant intimement qu'ils sont plus encrés dans le réel que n'importe qui. Ainsi, le proviseur du respectable lycée Blaise Pascal dans lequel le moins respectable mais néanmoins adoré fruit de mes entrailles faisait ses études - ou devrais-je dire : laissait les études le porter vers l'écluse du baccalauréat - vivait depuis plusieurs années dans la douce illusion d'un système scolaire ferme mais salvateur, seul rempart contre l'ignorance à épines qui fleurissait sur le terrain nauséabond du fumier de la culture nihiliste contemporaine. La mission qu'il était certain d'avoir reçu d'une instance quasi-divine était visiblement sa raison d'être, et il eut été prêt aux pires sacrifices dans l'intérêt de son vénéré établissement, héraut, selon lui, d'une action de grâce civilisatrice et salutaire. Le Père Supérieur, donc, du Saint-Lycée, tentait de me faire comprendre à moi, humble mère d'élève non-agrégée, qu'il serait bon que je prenne l'éducation de mon fils en mains, si je ne tenais pas à ce que l'autorité dont il était le représentant ne se voit contrainte de sanctionner certains de ses comportements suspects.
- Des comportements suspects ? demandais-je, sans grande originalité, je l'admet, lorsque la diarrhée démagogico-verbeuse du directeur se fut tarie.
- Précisément, reprit ce dernier de sa voix tellement usée qu'elle semblait être doté des grésillements d'un trente-trois tours. Voyez-vous, chère madame - ces deux mots glissèrent entre ses dents avec la même difficulté que doit avoir un blasphème particulièrement ignoble à sortir de la bouche d'un dévot dans une cathédrale - votre fils est ce que l'on pourrait appeler un petit plaisantin. Il n'est pas foncièrement méchant, certes non, mais certaines de ses plaisanteries nous laissent quelque peu... perplexes.
Il s'éclaircit la gorge comme si le mouvement de sa glotte était intiment lié à son activité synaptique, puis reprit en regardant à peu près partout, sauf dans ma direction.
- Tenez, par exemple, hier matin, jour de piscine, il a fait paniquer sa monitrice en simulant d'une façon étrangement réaliste une noyade. Tout l'établissement y a cru, jusqu'à ce qu'il émerge, le visage fendu d'un sourire benoît. Il n'est pas rare, bien sûr, que des élèves se livrent à de tels amusements, mais jamais d'une façon aussi... réussie. Si je puis dire, se reprit-il.