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Et rien ne s'éveille

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Et rien ne s'éveille Empty Et rien ne s'éveille

Message  lu-k Dim 3 Mai 2009 - 21:32

Un tintamarre fuyant à travers les rues : les clairons sonnent, les tambours jouent fort, des dragons rouges crachent des flammes à l’unisson, et des navires d’or auréolés de fumée volent à trente nœuds, portés par des esclaves dénudés qui suent sous le lourd soleil. Le vent transporte mille et une paillettes colorées, confettis de fête et de joie ; les gens accourent, sortent en trombe de leurs immeubles pour rejoindre ce cortège vibrant qui s’étend maintenant sur plus de deux kilomètres. Les voitures ne passent plus dans la rue principale de Tchong, personne ne travaille aujourd’hui, même les policiers se sont parés de frous-frous extravagants et ont abandonné leurs uniformes, pistolets et matraques. L’heure est à l’ivresse, à la folie, et à l’amusement. L’Empereur, du haut de son trône mirobolant ajusté au sommet d’une tour écarlate supportée par quatre énormes éléphants, enveloppe la foule d’un sourire heureux.

Seuls Mia et Lao, perdus dans une petite ruelle sombre, semblent ne pas participer à cet immense tohu-bohu. Ils serpentent tous deux entre rêve et réalité, archanges crasseux aux bordures de la mort. Tout a un goût de froid dans leurs bouches encore pétries de cris, d’espoirs abattus, de chuchotements suppliciés. Ils en ont savouré des jours boueux tailladés de rires insouciants, ce monde façonné en fumets mielleux ne se doutant de rien, et la ville qui exalhe à travers la petite fenêtre poussiéreuse. Ils sont sortis maintenant, mais les os de leurs mollets ne soutiennent que du vent, leurs pas automates saupoudrent le sol de sang, et chaque seconde chaque minute chaque heure semblent éternelles, comme la torture sans fin de leurs jours derniers.
De grands drapeaux volent encore, quand bien même le ciel est devenu encre, et Lao, assis sur les marches d’une idylle oubliée, la tête entre les genoux, soutient la petite figure de Mia de ses mains sales. Elle valse entre sommeil et abandon, et elle ne doit même plus entendre le son des trompettes résonnant au loin. Lao toujours se rappelle. Depuis qu’il a su se détacher des grosses cordes, depuis qu’il s’est enfui à toute allure de la petite cave sans lumière, emportant sous son bras meurtri la pauvre Mia, il ne fait que ça : se rappeler. Il a vu entre ses larmes des feux rouges défiler, du goudron battu par la pluie où s’élançaient follement les voitures, des figures étonnées se retourner après qu’il les avait croisées dans sa course. Des marées d’immeubles, grands doigts tendus défilant jusqu’à l’horizon, et un capharnaüm invraisemblable. Du bruit, de l’agitation, des couleurs, des odeurs qui se cognent. Mais toujours ces petites sandales qui martèlent le sol à un rythme effréné, ces pluies de passion assaillant Pékin, cette fuite démentielle s'alliant à la découverte du monde. Dans la petite cave, jours et nuits se confondaient pêle-mêle, et jamais Lao ne souhaitera y retourner. Il était en proie à une profonde terreur, là-dedans, et le mince rayon de lumière se faufilant parfois dans l'obscurité de la pièce était signe de mauvais présage : la porte s'ouvrait, et la lumière blafarde de l'embrasure, oui, chatouillant un visage aux traits confondus.

Au petit matin, Pékin est grise, Pékin cuve son vin de la veille, Pékin semble morte. Lao a fini par s'endormir. Aucun bruit. Des poussières les regardent lui et Mia, petites scories muettes, spectatrices sans visages de deux enfants assis dans la rue.
Lao n'a rien dans la tête, seulement des cascades de souvenirs, des sacs de riz où chantent des martyres. Il prend Mia sur ses épaules : elle ne pèse rien, elle est vide elle aussi, légère comme une plume, lourde comme un souvenir... ses paupières resteront toujours fermées, maintenant, Lao le sait. Il se dirige alors vers les bruits de klaxon brisés contre le point du jour, voyageur sans amour portant un baluchon qui sommeille. Il se rappelle toujours : les clairs espérés et les obscurs tuant, les clairs-obscurs sans fin quand la porte s'ouvre, les joues rouges et marquées contre la terre, la petite main à quatre doigts de Mia dans la sienne et le sang qui s'écoule encore, les fresques troublées à travers la fenêtre poussiéreuse... et le mal.
Ces yeux, à présent, voient des immenses avenues alignées comme des militaires, des fenêtres grandes comme la petite cave et serrées les unes contre les autres comme pour se tenir chaud, une multitude d'uniformes pressés. Pour Lao, voir ainsi Pékin, c'est comme découvrir une ruche de désirs désirée depuis longtemps. Mais il n'est pas heureux.

Lao a su saisir la liberté, mais il ne sait à présent pas la savourer. Il a toujours Mia, feuille morte et légère accrochée à son dos.
Il a eu envie de la ville, du dehors lointain, de bonheurs étalés par-delà les possibles.
Et il le trouve beau le ciel, fier et vacillant : mais sa raison n'en tremble pas, et toujours dans le regard des choses qui se bousculent : la petite cave sombre et sa fenêtre poussiéreuse, l'espoir, Mia qui s'éteint lentement, la mince lumière de l'embrasure de la porte où se découvre le visage, la peur le sang les coups, la fuite brûlante et la ville qui défile...
Et rien ne s'éveille.
lu-k
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