Card Maester

Cyrus a écrit:
Chapitre 1 : Le Camion

J’ouvre les yeux et tout est blanc. Blanc, comme une page de cahier laissé à l’abandon. Comme des murs d’hôpital, aussi. Cette espèce de blanc laiteux qui rend malade à force d’être trop souvent regardé. Blanc, blanc et blanc. Blanc comme un ciel d’hiver.
C’est silencieux, aussi. Pas un bruit, pas un éclat de voix. Pas même un murmure. Rien. Un néant blanc et silencieux. Le vide.
Je suis debout. Je crois. Je n’en suis pas sûre, je ne sens riens sous mes pieds. C’est comme si j’étais dans une bulle.
Je marche. J’avance. Ou bien je recule ? Je l’ignore. Il n’y aucun moyen de s’en assurer. Aucun repère.
Mais je continue à marcher. Histoire de faire quelque chose. De ne pas s’ennuyer.
Je ne sais pas où je suis. Je ne sais même pas pourquoi j’y suis. Pourquoi je ne suis pas coincée dans ma chambre d’hôpital, à comater (mouais ... à revoir le verbe) au sens propre du terme. A espérer la venue improbable d’amis inexistants.
Je m’appelle Emily. J’ai dix-sept ans. J’étais persuadée il y a peu de temps que l’existence pouvait se résumer à « lycée-copines-sorties-parents-dodo ». Jusqu’à l’accident.
Avant, mes principales préoccupations, c’était le temps qu’il faisait, les films qui passaient au ciné, les vêtements que j’allais mettre le lendemain, l’augmentation prochaine de mon argent de poche, les garçons, et mon avenir aussi. Un peu. Parfois. A doses homéopathiques. Parce que ce sujet là, il était rangé au fond d’une pochette, avec écrit en gros sur l’étiquette « DANGER, NE PAS OUVRIR ». Avec les bulletins de notes, très certainement. Ces maudits relevés sur lesquels les professeurs passaient leurs nerfs, m’assassinant à coup de « peut mieux faire », « doit se motiver », « pensez un jour à travailler, pour voir », alors qu’en classe, ils me faisaient des grands sourires, m’aidaient à venir à bout d’un exercice de maths qui refusait de se laisser résoudre, surveillant mes travaux pratiques en biologie ou en physique sans jamais rien me dire.
Pour résumer, mon avenir proche c’était survivre jusqu’au bac et prier pour ne pas redoubler. Surtout pas.
Et puis, il y a eu l’accident. Je n’ai pas vu ma vie défiler, elle devait sans doute être trop courte et trop terne. Il n’y a pas eu de lumière blanche non plus. Ou alors, juste celle des phares avant du camion.
J’ai traversé. Je n’ai pas regardé. Pas le temps. C’est con, non, quand on y songe ? J’ai voulu gagner quelques secondes et… paf. Lamentable.
Je me revois encore, immobile, contemplant sans croire le camion qui me fonçait dessus à toute vitesse. J’ai essayé de courir, mais mes jambes étaient si lourdes que je n’ai pas pu faire un pas. Je suis restée plantée là, au milieu de la route, fixant bêtement le camion qui se rapprochait de plus en plus.
Et puis, le choc. Le ciel qui se retrouve soudain sous vos pieds, le bitume si dur qui avait l’air tellement loin et puis la lumière qui s’éteint, comme si quelqu’un avait appuyé sur un interrupteur. Et le silence.

Ce blanc m’angoisse. Et ce silence… Tout est mort, ici. Vide. Un affreux néant blanc.
« Affreux me semble un tantinet de trop, petite fille. Le blanc est au contraire la couleur la plus pure qui soit, tu ne le savais pas ? » (physiquement parlant, le blanc n'est même pas une couleur... alors pure ! xD)
La voix s’est élevée de nulle part. Elle a résonné à mes oreilles comme un écho. C’est une voix étrange, douce et grave, un peu chantante. Elle fait penser à celle que prennent les illusionnistes dans les fêtes foraines.
Mais malgré tout, reste que je ne sais toujours pas d’où elle vient.
« Suis-je distrait ! Je manque à tous mes devoirs, vraiment ! Attention les yeux, place au Maître incontesté des Cartes, Roi suprême des Services à Thé et Empereur jamais détrôné de la Folie douce ! »
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qui se passe qu’un nuage de fumée violette se forme soudain à mes pieds. Il s’élève en tourbillonnant, dessinant une haute silhouette plus ou moins humaine. Enfin, le nuage se dissipe.
L’homme que j’ai en face de moi semble échappé d’un cirque ou de l’atelier d’un marionnettiste. Il porte notamment un haut de forme pourpre, dont il se débarrasse rapidement dans une courbette ridicule.
« Mad Hatter, déclame (trop court, à mon avis pour être déclamé)-t-il avec un grand sourire. Enchanté de faire ta connaissance, les personnes sont si rares par ici. Faire une rencontre relève parfois du miracle, tu sais ? Mais je suis habitué, attendre ne me dérange aucunement.
-Moi aussi, je suis bien contente de vous trouver, parce que j’aimerai qu’on m’explique où est-ce qu’on est. »
La phrase m’a échappée, en générale j’évite d’agresser ainsi les gens avec mes questions. Mais ça n’a pas l’air de le déranger. Il se recoiffe et demande :
« Ça te dirait de piocher une carte ? »
Grand silence. Je le regarde avec des yeux ronds, ne sachant si je dois rire ou bien le secouer de toutes mes forces avec l’espoir qu’il dise enfin quelque chose de cohérent. Parce que j’ai du mal à voir l’intérêt de jouer aux cartes lorsqu’on est perdu au fin fond d’une chose blanchâtre qui ne parait pas avoir de fin.
Mad Hatter ne se démonte pas, cependant. Il ouvre et ferme l’éventail de cartes avec dextérité, et rétorque :
« Ma suggestion n’est pas aussi stupide ou incongrue que tu ne le crois, petite fille. Vu que tu ne sais pas quoi faire, tu peux très bien piocher dans le jeu que je te présente. Rester planté là cent-sept ans n’est pas non plus très utile, je pense.
-Vous n’avez pas répondu à ma question. »
Il range son éventail, fronce les sourcils et dit avec gravité :
« Si c’est si important pour toi, tu n’as qu’à être un peu plus attentive à ce qui se passe en ce moment. »
J’observe les alentours, mais rien ne retient mon attention. Nous sommes toujours seuls au milieu de nulle part.
« Il n’y a rien.
-Erreur ! s’écrit-il en pointant mes pieds nus du doigt. Regarde bien ! »
En effet, entre mes orteils pousse une minuscule tige verdâtre. Mais lorsque je me baisse pour mieux voir, elle se résorbe et disparaît. Etonnée, je me relève et demande :
« C’est vous qui faites ça ?
-Bien entendu, répond-il. N’oublie pas que je suis le Maître incontesté des Cartes, Roi suprême des Services à Thé et Empereur…
- ...jamais détrôné de la Folie douce, j’avais compris, merci.
-Je vois que tu apprends vite », sourit-il.
Je croise les bras sur ma poitrine.
« J’imagine que vous ne direz rien tant que je n’aurais pas pioché une carte…
-Je n’ai pas dit ça », se défend Mad Hatter.
Mais il me tend néanmoins l’éventail.
Tout en me répétant que ce que je fais est juste idiot, j’avance la main, parcours le haut des cartes du bout des doigts, et en choisi une au hasard. Je la retourne et la regarde. Dame de Pique.
« Et maintenant, qu’est-ce que je suis sensée faire ? »
Ma question reste malheureusement sans réponse. Mad Hatter vient de me fausser compagnie.

Me voici donc de nouveau seule, avec pour unique compagnie la carte que je viens de piocher. Chère Pallas, ce n’est pas que votre présence m’ennuie, juste que je (craigne ?) que vous ne me soyez guère utile pour sortir d’ici.
Je dois d’ailleurs avouer que le néant me convenait assez, finalement. Oui, parce que l’énorme forêt touffue qui a subitement poussé (surgi) autour de moi ne m’inspire pas trop confiance. Non pas à cause des éventuelles bêtes sauvages qui pourraient y vivre –quoique…- mais surtout parce que j’ai vraiment l’impression d’être perdue.
« Flog. »
Pardon ?
« Flog. »
Non, je n’ai pas rêvé, j’ai bien entendu…
« Flog. »
Une bête sauvage !
Heu, non. Calmons-nous et réfléchissons. Les tigres ne font pas « flog », les loups non plus et les ours encore moins. Un sanglier ? Toujours pas. Mais c’est peut-être pire ? Si ça se trouve, c’est une créature magique et terrifiante !
« Flog. »
Bon, d’un autre côté, je ne connais pas franchement de dragons qui floguaient. Je n’en n’ai pas rencontré beaucoup non plus, il faut dire. (déjà que la formulation est orale, pas besoin non plus de la sabré du sujet ^^)
« Flog ! »
Dragon ou pas, le cri vient d’en haut. La chose doit être dans un arbre, très certainement. Je lève donc les yeux et aperçois…
Une boule de plumes violette avec une hélice sur la tête.
Rien de plus normal… Après tout, je viens bien de croiser le Mad Hatter au milieu de rien, une forêt a poussé en cinq secondes autour de moi, je peux parfaitement tomber sur le croisement entre une peluche et un ventilateur portatif. Cela arrive tous les jours ce genre de choses, c’est bien connu…
Mais pourquoi moi, Monde cruel ? C’est vrai, quoi. Cela aurait pu arriver à n’importe qui, mais non, il faut que ça m’arrive à moi. Moi qui n’ai jamais rien demandé à personne, moi qui vis gentiment dans mon coin sans embêter les autres… Enfin, aux dernières nouvelles, je suis plutôt coincée dans mon lit d’hôpital. Théoriquement en tous cas. Donc, je répète la question : pourquoi moi, Monde cruel ?
« Flog. »
Non, « flog » ne constitue pas une réponse, désolée. C’est comme « schtroumpf » On ne peut décemment pas accepter « flog » ou « schtroumpf ». Ce serait trop facile. Imaginez, sinon :
« T’as eu une interro aujourd’hui ? –Flog ».
« Tu m’aimes ? –Schtroumpf ».
Donc, non, on oublie.
« Flog… »
Mais c’est qu’il insiste en plus l’animal ! Non, j’ai dit !
« Flog. »
Tiens, si. Je suis fatiguée…
La chose étrange, que je choisis arbitrairement de nommer « le Flog », descend de sa branche et s’approche doucement. Le Flog, donc, me regarde de ses grands yeux larmoyants et sans plus attendre, se love au creux de mon cou.
« D’accord, tu es très mignon, Mr Peluche, mais là, dans l’immédiat, ce n’‘est pas spécialement d’un animal de compagnie dont j’ai besoin, plutôt d’un guide… par conséquent…»
Par conséquent, semblerait qu’il suffisait de demander.
Le Flog quitte son perchoir et se met à virevolter devant moi. Il parait suivre une trajectoire bien précise.
Au point où j’en suis…

Le Flog m’a conduite à l’orée de la forêt. C’est une grande prairie avec, en son centre, un petit étang aux reflets argentés. Comme quoi, j’ai eu raison de lui faire confiance.
Quoique… maintenant que j’y songe, je ne suis pas plus avancée qu’au départ. Le seul détail qui change, c’est la place des arbres…
Bon, je suis un peu mauvaise langue… Je viens d’apercevoir en effet deux gamins qui jouent au bord de l’étang. Enfin des personnes normales !
Ignorant la boule de plume volante qui gémit derrière moi, je me précipite vers eux, leur faisant de grands signes de la main pour attirer leur attention.
Et puis, arrivée à leur hauteur, je stoppe net.
Parce que les jumeaux qui me font face sont tout sauf normaux. Leur peau est bleutée et leurs yeux…
Je n’ai jamais vu rien vu de tel.
Ils n’ont ni pupille, ni iris, juste un globe blanchâtre. Des yeux morts et éteints. Et pourtant, je sens le poids de leur regard. Je suis certaine qu’ils voient, qu’ils me voient.

Le Flog m’a conduite à l’orée de la forêt. C’est une grande prairie avec, en son centre, un petit étang aux reflets argentés. Comme quoi, j’ai eu raison de lui faire confiance. Quoique… maintenant que j’y songe, je ne suis pas plus avancée qu’au départ. Le seul détail qui change, c’est la place des arbres…
Bon, je suis un peu mauvaise langue… Je viens d’apercevoir en effet deux gamins qui jouent au bord de l’étang. Enfin des personnes normales ! Ignorant la boule de plume volante qui gémit derrière moi, je me précipite vers eux, leur faisant de grands signes de la main pour attirer leur attention. Et puis, arrivée à leur hauteur, je stoppe net.
Parce que les jumeaux qui me font face sont tout sauf normaux. Leur peau est bleutée et leurs yeux…
Je n’ai jamais vu rien vu de tel.
Ils n’ont ni pupille, ni iris, juste un globe blanchâtre. Des yeux morts et éteints. Et pourtant, je sens le poids de leur regard. Je suis certaine qu’ils voient, qu’ils me voient.

mais peut-être devrait tu faire attention à ne pas tomber dans le tic gavaldienne ultra-chiant du "retour-à-la-ligne-inutile-attitude"

Cyrus a écrit:Chapitre 5 : Miss Lady C.

Les eaux noires de l’étang ont laissé place à un jardin verdoyant. Dans un coin, une petite fille est assise sur une balançoire.
Je secoue la tête pour remettre un peu d’ordre dans mes idées. J’ai de plus en plus de mal à comprendre et à admettre ce qui m’arrive. Pourquoi moi, pourquoi ici, pourquoi maintenant… ? Pourquoi… c’est ma question préférée. Pourquoi. Je passe ma vie à le demander. Sans obtenir beaucoup de réponse d’ailleurs.
Les jumeaux ne m’ont toujours pas lâchée. Le froid s’est dissipé, mais leur étau est trop puissant pour que je leur échappe. Ils me conduisent vers la petite fille à la balançoire.
« Regardez Miss, dit l’un. Nous vous avons trouvé une nouvelle poupée !
-Une nouvelle poupée, répète le second.
-Elle vous plait, Miss ?
-Vous plait, Miss… »
Alors c’est elle… Cette fameuse Miss Lady C. Elle est plutôt mignonne. Elle ne doit pas avoir plus de huit ou neuf ans. Elle est vêtue comme au dix-neuvième siècle, d’une robe bleue pâle ceinturée par un ruban rose. Des anglaises noires aux reflets pourpres encadrent son visage de porcelaine. Ses yeux améthyste me fixent sans ciller, et ses lèvres cerise s’étirent en un sourire amusé.
« Vous avez fait du bon travail tous les deux, murmure-t-elle d’une voix douce. Elle est très jolie. A-t-elle un nom ?
-Elle ne nous l’a pas dit, Miss, répond un des jumeaux. Nous sommes désolés.
-Désolés, désolés… scande l’autre.
-C’est embêtant, avoue Miss Lady C. Je ne peux rien faire sans son nom. Enfin, ce n’est pas grave… du moment qu’elle est muette… »
Je suis d’un naturel calme et patient. J’évite également d’aller au devant des ennuis. Mais toute cette histoire commence sérieusement à m’agacer.
« Je ne suis pas muette ! »
La preuve…
Je me prépare à me lancer dans une grande explication, mais Miss Lady C me fait taire d’une tape sèche sur la joue.
« Elle a l’air très mal élevée en tous cas, siffle-t-elle en fronçant les sourcils. Enfin… j’en parlerai à mon cher Hatter… nous verrons bien s’il peut remédier à ces détails… Vous pouvez partir à présent », ajoute-t-elle à l’adresse des jumeaux.
Ils s’inclinent, et disparaissent dans un clapotis d’eau. Miss Lady C quitte son perchoir et s’approche, afin de m’inspecter sous tous les angles.
J’ai horreur de ça.
« Je ne dérange pas trop ? »
La remarque m’a échappée. La demoiselle cesse de me tourner autour et se plante face à moi, les bras croisés sur la poitrine.
« Décidément, soupire-t-elle, ton éducation laisse à désirer. On ne parle pas tant qu’on n’y est pas autorisé, tout le monde le sait.
-Je me passe de votre autorisation. J’ai quelque chose à dire, je le dis. Point barre. »
Moi et mon sens de la diplomatie… Et puis pourquoi je vouvoie cette gamine ? Elle m’arrive tout juste à la taille !
« Très bien, déclare Miss Lady C. Si tu refuses d’obéir, je vais demander à Thêta de te ranger dans le coffre. Nous verrons demain si tu seras devenue plus sage. »
Avant que je puisse rétorquer, elle claque ("Tape" me semblerait plus juste) dans ses mains, un sourire amusé sur les lèvres.