Card Maester

pourquoi à l'anglaise ?

« David, sourit Pallas, je ne vous attendais pas de sitôt…
- J’ai fait le plus vite possible, ma chère, répond l'interpelé sans retirer la main de mon épaule. Qui est cette jeune personne ? »
Sa voix, comme celle de la Reine de Piques, est douce, presque inaudible.
« Voici Emily, l’informe Pallas. Elle nous est envoyée par le Chapelier.
- Vraiment ? »
Toujours sans me lâcher, il me fait pivoter et j’aperçois enfin son visage. David ressemble étrangement à son épouse ; il est aussi pâle qu’elle et son regard acier est tout aussi fixe et envoûtant.
« Tu es ravissante, sourit-il. (c'est la mode, je sais mais on ne peut pas sourire un mot ^^)»
Je reste silencieuse, médusée par le timbre feutré de sa voix. David n’est pas rassurant comme Charles, mais il se dégage de lui un sentiment de calme et de sérénité qui apaise.
Vraiment, j’ai du mal à comprendre pourquoi les Cœurs les craignent à ce point. Je m’attendais à rencontrer des êtres sanguinaires, armés jusqu’aux dents et passant leur temps à torturer les gens. Bon, c’est peut-être un peu exagéré, mais vu ce qu’en disaient Charles et Judith, je pouvais difficilement les imaginer autrement. Et c’est pour ça que j’ai du mal à croire que les deux personnes qui se tiennent devant moi sont les mêmes dont les Cœurs parlaient avec tant de peur.
« As-tu une idée de ce qui a poussé le Chapelier à te conduire ici ? » interroge soudain David.
Je secoue négativement la tête. Non, je ne sais pas. Je me le demande, d’ailleurs. Et surtout, pourquoi moi. Pourquoi pas une autre poupée de Miss Lady C. Et surtout, j’ignore ce que Hatter attend réellement de moi.
« Cela ne fait rien, murmure Pallas. Que dirais-tu de rester quelques temps avec nous, Emily ?
-Si ça ne vous dérange pas…
- Bien sûr que non, sourit David. Puisque nous te le proposons.
- Et cela nous changera, ajoute la Dame de Pique. Nous avons si peu de visites…
- Les autres Cartes n’ont pas l’air de vous porter dans leur cœur. (haha, cartes => coeur, humour xD)»
Et voilà, ça faisait longtemps. Encore une fois, ma langue a été plus rapide et les mots sont sortis avant que je ne réalise ce qui se passait.
« Tu en as croisé d’autres ? » veut savoir Pallas.
Les mains de David se sont de nouveau refermées sur mes épaules. Elles sont glacées. Mais je ne bouge pas, je suis comme anesthésiée. Je me sens étrangement bien. Un peu… absente, mais bien.
« J’ai rencontré Judith et Charles.
- Oh, eux… lâche David. Ce n’est rien. Ne fais pas attention à ce qu’ils ont pu te dire. Ils sont un peu paranoïaques sur les bords. Ils sont persuadés qu’un complot se monte (trame ?) dans l’ombre pour les détrôner. C’est d’un ridicule... »
Il n’y a aucun changement de ton dans sa voix. Toujours aussi calme, aussi posée.
Je ferme les yeux. Je me sens bien. Je n’ai plus peur. Je ne veux pas que David retire ses mains. Je ne veux plus partir. Je me sens si bien…
Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi apaisée. Pour la première fois depuis longtemps, je ne suis plus stressée par un avenir on ne peut plus incertain. Pour la première fois, je cesse de surveiller tout ce qui se passe au cas où quelqu’un m’observerait et me jugerait. Pour la première fois, je ne suis plus sur mes gardes, prête à morde tout ceux qui osent m’approcher à moins de dix mètres. Je me sens enfin en sécurité.
Je ne veux plus me réveiller.
« Pallas, ma chère, que diriez-vous d’initier Emily à notre petit jeu ? »
La voix de David me sort un peu de ma torpeur.
« Je pense que c’est une excellente idée… Hogier ! »
A ce mot, un robot nous rejoint sur la terrasse. Il n’a pas de nez ni de bouche, seulement deux immenses yeux en amande qui brillent d’une lueur rougeoyante. Sur sa poitrine, s’étend (pourquoi pas un verbe qui suggère plus un dessin ?) un gigantesque pique, au centre duquel se trouve comme un objectif d’appareil photo. A moins que ce ne soit une petite caméra.
Pallas prend le paquet de cartes à jouer que lui offre Hogier et me le présente.
« Je dois en piocher une au hasard ?
- Exactement, souffle David au creux de mon oreille. Au hasard. C’est ce qui fait l’intérêt du jeu. »
Je contemple un instant l’éventail que tient Pallas, avance lentement la main et m’exécute.
« Regarde-la », murmure David.
Je hoche la tête et la retourne. Roi de Cœur.

Cyrus a écrit:
Chapitre 13 : Pallas

Lorsque j’ouvre les yeux, je dois me rendre à l’évidence. Je ne suis toujours pas dans mon lit d’hôpital. Ce n’est pas qu’il me manque particulièrement, ou même que je regrette mon ancienne existence, juste que ce qui m’arrive m’échappe de plus en plus et que je n’aime pas cette sensation de vide. Je n’ai pas le choix, cependant. Je ne vois pas ce qui pourrait me permettre de réintégrer le bon côté du miroir.
Quand j’étais petite, je n’aimais pas Alice au Pays des Merveilles. Je ne supportais pas cette fantaisie terrifiante ; et c’est toujours le cas aujourd’hui, semblerait-il.
Enfin…
Une robe blanche est posée sur une chaise près du lit. J’imagine que c’est une attention de Charles. Je retire rapidement mes affaires et l’enfile. Elle est à ma taille, mais je n’ai plus de poche à présent pour ranger la carte de Pallas. Tant pis, je vais devoir la garder à la main.
On frappe à la porte.
« Emily ? fait la voix grave de Charles. C’est moi. Je peux entrer ?
-Oui… »
Je plie rapidement mes vêtements tandis qu’il ouvre la porte et pénètre à l’intérieur de la chambre. Il me sourit, admire sans doute la robe et s’assied sur le lit.
« J’ai… parlé avec Judith, explique-t-il en fixant ses mains sur ses genoux. Elle est d’accord sur le fait que te rendre au palais des Piques est une folie…
-Pourquoi ? Si Hatter m’a donné la carte ? »
Charles soupire et lève les yeux vers moi. Ses pupilles sombres ne pétillent plus, et il parait avoir subitement vieilli. Il me prend doucement les poignets et sourit tristement :
« C’est exactement ce que m’a répondu Judith. Et c’est ce que je ne comprends pas. Si le Chapelier t’a aidée à sortir de la maison de Miss Lady C, c’est qu’il tient à toi. Et auquel cas, il ne t’aurait jamais envoyée chez les Piques…
-Ils sont si terribles que ça ? »
Charles hoche la tête en silence.
« Mais imaginons que j’y aille tout de même, vous ne m’empêcheriez pas de le faire ?
-Non, répond-il en me lâchant les poignets. Non, nous respecterions ta volonté… »
Il se lève et s’apprête à partir.
« Si c’est vraiment ce que tu souhaites, je t’accompagnerai jusque là-bas, ce n’est pas loin. Mais ne m’en demande pas plus.
-Ce sera suffisant.
-Dans ce cas… en route, petite Emily. Mais je t’aurais prévenue. »
Nous sortons de la chambre, traversons un couloir, puis un hall, auxquels je n’avais pas prêté attention lors de mon arrivée. Et nous quittons le Palais des Cœurs.
Nous marchons pendant plusieurs heures, en silence, l’un à côté de l’autre. Parfois, l’un de nous essaye de détendre l’atmosphère par une anecdote amusante, mais on sent bien que le cœur n’y est pas. (pour le roi des cœurs, ça la fout mal ... hem u__u")
Enfin, nous arrivons à destination. Charles me regarde quelques instants, le visage grave. Il tend la main et me caresse la joue du bout des doigts. Puis il sourit et fait demi-tour. Je reste immobile un moment, le suivant du regard, avec la désagréable impression que c’est la dernière fois que je le vois. Je soupire et me tourne vers le Palais des Piques.
Il n’a rien à voir avec celui des Cœurs. Il fait davantage penser à un hôpital, à cause de sa forme simple et des ses murs blancs. Et surtout, il faut traverser un immense jardin pour pénétrer à l’intérieur (tu pénètres pas souvent à l'extérieur en même temps. Quand tu pénètres, ça induit un endroit clos).
Me voici donc à trottiner au milieu de rosiers rouges, blancs, noirs ou pourpres. Devant moi se trouve une terrasse, sur laquelle une femme fume une cigarette. Elle est vêtue d’une robe noire moulante qui contraste avec sa peau diaphane. Lorsque je m’approche d’elle, je remarque un pique tatoué dans son dos. Elle se retourne, m’ayant entendue arriver et me sourit. Ses iris glacés se sont rivés aux miens. Elle n’est pas belle. Elle est sublime, envoûtante, gracieuse… elle parait si forte et si fragile à la fois que c’en est déroutant. Pallas. Dame de Pique. J’ai du mal à comprendre ce qui terrifie à ce point les Cœurs. Elle semble si douce…
« Qui t’as autorisée à entrer ? » demande-t-elle d’une voix pas plus haute qu’un soupir.
Pour couper court à toute discussion, je lui montre la carte. Elle sourit à sa vue, et murmure :
« C’est donc notre cher Chapelier qui t’envoie… et tu as réussi à me trouver, félicitations, petite fleur.
-Je m’appelle Emily.
-C’est un très joli prénom… »
J’ai déjà entendu ça quelque part. Décidément…
Mon agacement ne lui a pas échappé. Elle rit sans bruit et souffle :
« Apparemment, tu as rencontré notre Petite Collectionneuse de Poupées… »
Un bruit de pas retentit derrière moi. Je n’ai pas le temps de faire volte face qu’une main s’est délicatement posée sur mon épaule.

Cyrus a écrit:
Chapitre 14 : David

« David, sourit Pallas, je ne vous attendais pas de si tôt…
- J’ai fait le plus vite possible, ma chère, répond l’interpelé sans retirer la main de mon épaule. Qui est cette jeune personne ? »
Sa voix, comme celle de la Reine de Piques, est douce, presque inaudible.
« Voici Emily, l’informe Pallas. Elle nous est envoyée par le Chapelier.
- Vraiment ? »
Toujours sans me lâcher, il me fait pivoter et j’aperçois enfin son visage. David ressemble étrangement à son épouse ; il est aussi pâle qu’elle et son regard acier est tout aussi fixe et envoûtant.
« Tu es ravissante, sourit-il. »
Je reste silencieuse, médusée par le timbre feutré de sa voix. David n’est pas rassurant comme Charles, mais il se dégage de lui un sentiment de calme et de sérénité qui apaise (j'aurais tendance à accorder avec calme et sérénité et écrire "apaisent". Au choix !).
Vraiment, j’ai du mal à comprendre pourquoi les Cœurs les craignent à ce point. Je m’attendais à rencontrer des êtres sanguinaires, armés jusqu’aux dents et passant leur temps à torturer les gens. Bon, c’est peut-être un peu exagéré, mais vu ce qu’en disaient Charles et Judith, je pouvais difficilement les imaginer autrement. Et c’est pour ça que j’ai du mal à croire que les deux personnes qui se tiennent devant moi sont les mêmes dont les Cœurs parlaient avec tant de peur.
« As-tu une idée de ce qui a poussé le Chapelier à te conduire ici ? » interroge soudain David.
Je secoue négativement la tête. Non, je ne sais pas. Je me le demande, d’ailleurs. Et surtout, pourquoi moi. Pourquoi pas une autre poupée de Miss Lady C. Et surtout, j’ignore ce qu’Hatter attend réellement de moi (moi moi moi ...).
« Cela ne fait rien, murmure Pallas. Que dirais-tu de rester quelques temps avec nous, Emily ?
-Si ça ne vous dérange pas…
- Bien sûr que non, sourit David. Puisque nous te le proposons.
- Et cela nous changera, ajoute la Dame de Pique. Nous avons si peu de visites…
- Les autres Cartes n’ont pas l’air de vous porter dans leur cœur. »
Et voilà, ça faisait longtemps. Encore une fois, ma langue a été plus rapide et les mots sont sortis avant que je ne réalise ce qu'il se passait.
« Tu en as croisé d’autres ? » veut savoir Pallas.
Les mains de David se sont de nouveau refermées sur mes épaules. Elles sont glacées. Mais je ne bouge pas, je suis comme anesthésiée. Je me sens étrangement bien. Un peu… absente. Mais bien.
« J’ai rencontré Judith et Charles.
- Oh, eux… lâche David. Ce n’est rien. Ne fais pas attention à ce qu’ils ont pu te dire. Ils sont un peu paranoïaques sur les bords. Ils sont persuadés qu’un complot se monte dans l’ombre pour les détrôner. C’est d’un ridicule. »
Il n’y a aucun changement de ton dans sa voix. Toujours aussi calme, aussi posée.
Je ferme les yeux. Je me sens bien. Je n’ai plus peur. Je ne veux pas que David retire ses mains. Je ne veux plus partir. Je me sens si bien…
Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi apaisée. Pour la première fois depuis longtemps, je ne suis plus stressée par un avenir on ne peut plus incertain. Pour la première fois, je cesse de surveiller tout ce qui se passe au cas où quelqu’un m’observerait et me jugerait. Pour la première fois, je ne suis plus sur mes gardes, prête à morde tous ceux qui osent m’approcher à moins de dix mètres. Je me sens enfin en sécurité.
Je ne veux plus me réveiller.
« Pallas, ma chère, que diriez-vous d’initier Emily à notre petit jeu ? »
La voix de David me sort un peu de ma torpeur.
« Je pense que c’est une excellente idée… Hogier ! »
A ce mot, un robot nous rejoint sur la terrasse. Il n’a pas de nez ni de bouche, seulement deux immenses yeux en amande qui brillent d’une lueur rougeoyante. Sur sa poitrine, s’étend un gigantesque pique, au centre duquel se trouve comme un objectif d’appareil photo. A moins que ce ne soit une petite caméra.
Pallas prend le paquet de cartes à jouer que lui offre Hogier et me le présente.
« Je dois en piocher une au hasard ?
- Exactement, souffle David au creux de mon oreille. Au hasard. C’est ce qui fait l’intérêt du jeu. »
Je contemple un instant l’éventail que tient Pallas, avance lentement la main et m’exécute.
« Regarde-la », murmure David.
Je hoche la tête et la retourne. Roi de Cœur.

Aussitôt, Pallas claque des doigts et Hogier quitte le jardin. David, d’une main, sort un petit étui de sa poche. Il s’agit en réalité d’un écran miniature.
« Cela nous permet de suivre Hogier », m’explique-t-il.
Donc, j’avais raison, c’était bien une caméra qu'il y avait dans le pique du robot.
Pallas nous rejoint et se saisit de l’écran qui affiche vue de forêt. On dirait celle que nous avons traversée avec Charles pour venir ici.
« Il ne va pas tarder à le retrouver, sourit David en reposant sa main sur mon épaule.
-Ce n’est pas lui que l'on aperçoit dans le coin ? murmure Pallas en indiquant une petite silhouette dans un coin de l’image.
-Si, répond David en observant avec attention. C’est bien lui. »
Je me retiens de demander ce que Hogier va bien pouvoir faire une fois qu’il aura retrouvé Charles. De toute façon, je ne vais tarder à le savoir, car on distingue parfaitement le Roi de Cœur à présent ; le robot l’a donc rattrapé.
Un bras mécanique obscurcit tout à coup la majorité de l’écran ; Hogier a saisi le poignet de Charles et le force à se retourner. Gros plan sur le visage de ce dernier. Charles, d’abord surpris, écarquille les yeux lorsqu’il reconnait le Valet des Piques. Et sa bouche s’ouvre sans qu’aucun son n’en sorte.
« Qu’est-ce que… ? » (c'est qui qui parle ? puisque Charles n'émet aucun son...)
Une boule de lumière s’est échappée d’un des doigts d’Hogier, éclairant le visage blanc de terreur de Charles. Puis plus rien. L’écran tressaute un dixième de seconde, et lorsque l’image réapparait, il n’y a plus de trace du Roi de Cœur.
Je reste figée plusieurs minutes, fixant sans y croire l’écran que tient David. Je ne parviens pas à assimiler ce qui vient de se passer. Hogier n’a pas tué Charles. Hogier ne peut pas tuer Charles. On ne peut pas tuer Charles. On ne peut pas. Ce n’est pas possible. Il ne va pas tarder à réapparaître dans un coin de l’écran. Il doit réapparaitre. Il faut qu’il réapparaisse. Charles…
Mais l’image reste désespérément vide.
Quelque chose de (un liquide) chaud coule entre mes doigts. Je quitte l’écran des yeux et observe ma main qui sert toujours la carte du Roi de Cœur. C’est du sang. Le sang de la carte. Elle s’est fendue en deux, en diagonale, et saigne abondamment.
J’ai envie de vomir.
Les mains de David, sur mon épaule, se font soudain beaucoup plus lourdes. Je veux me dégager, mais il me tient fermement.
« Vous l’avez… vous l’avez… »
Le mot refuse de sortir. Il est bloqué au fond de ma gorge, m’empêchant de respirer.
« Vous avez… »
Il se rétracte au dernier moment, comme si j’étais incapable de le prononcer, ou même de le penser, de l’admettre…
« Ce n’est pas nous qui avons tué Charles, sourit Pallas. C’est toi qui as pioché la carte. C’est donc toi qui as ordonné à Hogier de le supprimer du jeu. »
Je secoue désespérément la tête.
« Non… non… »
Mais ils ont raison.
J’ai tué Charles. Je l’ai tué. J’ai-tué-Charles.
C’est ma faute. C’est moi qui…
Non.
Réfléchissons trente secondes. Cessons de paniquer et réfléchissons. Je n’ai pas tué Charles. Ce n’est pas moi qui ai demandé à piocher dans le jeu. Premier point. Second point : les Cœurs avaient raison de craindre Pallas et David. Ils ne sont pas dangereux : ils sont fous à lier.
Troisième point… troisième point, si une carte se déchire en deux lorsqu’elle meurt, je crois avoir trouvé le moyen d’en finir une bonne fois avec cette histoire.
Prise d’une inspiration soudaine, j’écrase le pied de David qui me libère enfin et en profite pour arracher le paquet de cartes à Pallas. Ils sont trop stupéfaits pour réagir et lorsqu’ils reviennent enfin à eux, c’est trop tard. J’ai ce que je cherchais. Jocker, Mad Hatter, la carte la plus puissante d’un jeu de cartes. Avant que les Piques ne fassent (n'esquissent ?) le moindre geste, je saisis la carte par deux coins et la déchire dans la longueur.
Tout, David, Pallas, le Palais, le jardin, les rosiers, tout commence à disparaître, à s’effacer; jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, jusqu'à ce que je sois toute seule au milieu du blanc, avec à mes pieds, les cartes éparpillées en désordre.
C’est fini.

« Tu as enfin compris petite fille… »
Je sursaute et regarde tout autour de moi, avant de tomber nez-à-nez avec Hatter. Hatter, et son éternel sourire sur les lèvres, Hatter et son regard pétillant de malice, Hatter et son stupide haut-de-forme violet. Hatter, surtout, qui n’est pas sensé être encore ici puisque je viens de déchirer sa carte.
« Surprise de me voir ?
-A votre avis ? A quoi ça rime cette histoire ? Vous vous rendez compte de ce que vous m’avez fait endurer ? Vous saviez ce qu’allaient faire Pallas et David ? Et Miss Lady C, vous le saviez pour Miss Lady C ? Et pourquoi la Carte de la Dame de Pique, Pourquoi pas une autre ? Pourquoi…? »
Hatter lève la main pour me faire taire. Je cesse de le harceler de questions, mais je ne peux arrêter de trembler de colère. Il s’est joué de moi. Depuis le début. Je suis persuadée qu’il savait ce qui risquait de m’arriver et qu’il s’en fichait royalement.
« Je comprends ce que tu ressens, petite fille, sourit-il. A ta place, j’aurais sans doute réagi ainsi. Mais je voudrais que tu mettes toute cette rancœur de côté, du moins pendant quelques instants, et que tu m’écoutes.
-Et pourquoi le ferais-je ?
-Parce que je vais répondre à tes questions. Tu aimes les histoires ? »
Je ne réponds pas.
« Tu l’aimeras, celle-ci, poursuit Hatter. J’en suis persuadé. Alors ouvre bien grand tes oreilles…
Cette histoire, c’est celle d’Andreas Lieberstein, un jeune homme autrichien qui rêve d’un grand avenir. Mais Andreas doit avant toute chose s’occuper de Camelia, sa jeune sœur qui est, disons, un peu… simple. Camelia adore la magie, en particulier les tours de cartes et de passe-passe. Et cela tombe bien parce qu’Andreas est très bon dans ce domaine. C’est un excellent prestidigitateur…
-Je ne vois pas le rapport avec…
-J’y viens. Andreas, donc, qui aime profondément sa sœur, décide de l’emmener avec lui à Vienne, afin de trouver un music-hall ou un théâtre qui veuille bien de ses tours. Il veut également éloigner sa sœur d’une famille qui la traite comme une moins que rien à cause de son esprit d’enfant.
Il met donc côté toutes ses économies et quitte la campagne pou Vienne, la ville de tous les possibles. Du moins le croit-il. Car il déchante rapidement. En effet, à peine arrivé, les ennuis commencent. A cause de leur pauvreté, Andreas et Camelia sont contraints de louer à deux une chambre de bonnes dans un immeuble miteux. Pire encore, la santé de la jeune fille, déjà fragile au départ, empire dès leur installation. Pour gagner de quoi vivre et la soigner, Andreas fait le tour des music-halls, des salles de spectacles, des théâtres, présentant ses tours de cartes…
-Il doit avoir un succès fou, non ?
-Non, justement. Car nous sommes au XIXème siècle, et ce qui fait fureur à cette époque, c’est l’illusion.
-Ce n’est pas la même chose ?
-Non. Le prestidigitateur détourne l’attention du public afin de réussir son tour quand l’illusionniste use d’artifices extérieurs. Les deux se valent ; mais notre Andreas n’entend rien à l’illusion. Pour les directeurs de théâtre, il est obsolète, désuet, inutile, passé de mode…
-Il ne trouve donc pas de travail…
-Non. Pire encore, le premier hiver, Camelia tombe gravement malade et… meurt d’une… pneumonie… »
Hatter a peiné à dire la dernière phrase. Il ferme les yeux et sert les poings, comme s’il vivait la scène. Ou plutôt, comme s’il la revivait.
« Et qu’avez-vous… pardon qu’est-ce qu’Andreas a fait ?
-La seule chose qui lui restait à faire. Il s’est jeté sous les roues d’un fiacre.
-Il en est mort ? »
Hatter sourit tristement.
« En théorie, oui. Mais Andreas n’est pas très courageux. Il n’est donc pas tout à fait parti. Il flotte dans ce qu’on pourrait appeler « l’Entre-Deux», où nous sommes. Et il a recréé un univers, son univers, sorte de Bataille de Cartes grandeur nature.
-Et Camelia ? Qu’est-ce qu’elle est devenue ?
-On ne peut faire revivre les morts, soupire Hatter. Alors Andreas a… j’ai trouvé un moyen de conserver son âme en lui procurant des corps.
-Les… poupées… ?
-En effet.
-Et moi ? Pourquoi m’avoir sauvée ?
-Parce que je suis fatigué, avoue Hatter. Je me suis lassé de ce jeu. Et je voulais y mettre fin sans oser le faire directement. Tu es celle qui a tout arrêté à ma place. »
Cette dernière révélation me laisse songeuse. Cela me rappelle que je vais bientôt devoir me réveiller. Et que, malgré tout, aussi étrange que ça puisse paraître, je ne suis pas certaine d’en avoir envie. Parce que je sais que ma vie ne sera jamais comme ici. Elle ne sera pas aussi haute en couleur…
« Je vais partir. A toi de voir ce que tu comptes faire. Mais réfléchis bien, petite fille… et merci…», murmure Hatter avant de disparaître à son tour.
Et me voici de nouveau seule. A moi de choisir. Me réveiller, ou suivre Hatter. Ou bien… rester ici…

Ton style "franc parlé" tout au long peut séduire, mais peut aussi rebuter, donc parfois il faut faire attention à ne pas trop l'exagérer. Notamment dans certaines phrases du style:

Mes phalanges viennent d’exploser, paix à leur âme…

Qui est un tantinet un peu trop familier.